RAYA LINDBERG
Auteure - chercheuse - enseignante en esthétique - critique d’art (AICA) - curatrice
Fondatrice de la structure d’exposition et d’expérimentation artistique
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SMAK (Musée d’art contemporain) Gand, Belgique. Carte blanche Exposition "Faux Jumeaux" à l’invitation de Michel François, Mars / mai 2009.
Pendant plus d’un an, le S.M.A.K. a donné carte blanche à Michel François, l’artiste bruxellois, pour déterminer le programme d’exposition dans deux salles du musée. François a choisi deux salles identiques et a baptisé son projet du nom de "Faux Jumeaux". Il a demandé à 15 personnes de choisir chacune deux œuvres d’art qui se ressemblent fortement en matière de forme ou de matériau, mais qui ont néanmoins été réalisées indépendamment. Quelles sont les ressemblances ou les différences sur le contenu qui se révéleront en les présentant ‘en miroir’ dans les deux salles identiques?

Proposition 1 - Michel François
Proposition 2 - Loïc Vanderstichelen
Proposition 3 - Daniel McClean
Proposition 4 - Yves Brochard
Proposition 5 - Guillaume Désanges
Proposition 6 - Laurent Jacob
Proposition 8 - Hans Theys
Proposition 9 - Frank Maes
Proposition 10 - Philippe Van Cauteren
Proposition 11 - Rainier Lericolais
Proposition 12 - Christine Macel
Proposition 13 - François Curlet
Proposition 14 - Joël Benzakin
Proposition 15 - Lea Gauthier
Proposition 16 - Jean-Paul Jacquet

Raya Lindberg a présenté le septième "Faux Jumeaux". Il présente d'un côté le monologue Pas Moi de Samuel Beckett, interprété en 1972 par Billie Whitelaw, et d'autre part, Open Book (1974) de Vito Acconci.

Samuel Beckett / Vito Acconci - Faire parler une image

La vidéo Open Book d’un côté, et la mise en scène filmée de Pas Moi de Beckett produisent un « faux jumeaux», autrement dit le hasard innocent d’une forme identique. Or l’innocence ne nous rend pas naïfs et derrière l’innocence d’une bouche identique à une autre bouche, les pièces de Samuel Beckett et de Vito Acconci pourraient se lire via des portes dérobées — une entrée par la bouche, pour faire un jeu de mots facile — et trouver là une concordance de perspective. Et Vito Acconci et Samuel Beckett, focale de la caméra ou focale de la mise en scène filmée au poing, vont saisir tous deux cette possibilité de faire qu’un sujet s’incarne tout en le faisant disparaître. Car qui parle dans Open Book et dans Pas Moi? On ne sait pas, et cependant, bien que sans tête et sans contours autres que la bouche, quelqu’un parle, quelqu’un existe de parler. Dans le texte de Beckett c’est Elle, la bouche qui ne dit jamais: Je. Beckett n’écrit pas un monologue de théâtre, qui énoncerait: « Je suis là » Moi qui parle, un monologue où un sujet témoignerait de lui-même.
Ici, et dans ce texte, il s’agit d’un Pas moi, c’est-à-dire Elle ou encore mieux: BOUCHE, autrement dit le mode impersonnel d’une bouche ouverte dans l’espace.

Qui parle chez Acconci?
La bouche d’Acconci qui dit: Je, mais évacue bien plus qu’il n’y paraît le sujet qui parle, pour tenter de manifester un geste artistique tout le sujet qui parle, pour tenter de manifester un geste artistique tout autant qu’une idée. Dès lors, le Elle impersonnel de Beckett, et le Je impersonnel de Vito Acconci, font éclater l’identité du sujet pour le vider de son jus de « déjà là », de « déjà vu », de son jus d’identité identique à soi, tout entier de l’être. Ces bouches qui matérialisent ce que l’on voit, autant que ce que l’on entend, se posent alors en images du langage, en même temps que comme images parlantes. Et chacun à son tour, en même temps qu’une représentation d’un geste de langage à l’image, trouve là avec cette bouche, l’image même du langage, de tous les langages.
Raya Lindberg

BOUCHE — monde...mis au monde...ce monde...petit bout de rien... avant l’heure...Loin de —...quoi ?...femelle?...oui...petit bout de femelle...au monde...avant l’heure...loin de tout...au troudit...dit... n’importe...père mère fantômes... pas trace...lui filé...ni vu ni connu... pas plus tôt boutonné la braguette...elle pareil...huit mois après...jour pour jour...donc point d’amour...au moins ça...tel qu’il s’abat d’habitude...au foyer conjugal...sur l’enfant sans défense... non...point d’amour...ni celui-là ni un autre...aucune sorte
...ni alors ni après...histoire banale donc...jusque sur le tard... bientôt soixante... un jour qu’elle —...quoi ?... soixante-dix?...mère de Dieu ! ...bientôt soixante-dix... dans une prairie...un jour qu’elle traînait dans une prairie...cherchant vaguement des coucous...pour en faire une couronne...quelques pas puis halte...les yeux dans le vide...puis allez quelque...halte et le vide à nouveau...ainsi de suite...à la dérive... quand soudain...peu à peu... tout s’éteint...toute cette lumière matinale...début avril... et la voilà dans le — ...quoi?...qui?...non!... elle! (pause et premier geste)...la voilà dans le...le noir...et sinon exactement...privé de sentiment...non car elle entend toujours le bourdon...soi-disant...dans l’oreille...et un rayon de lune... à cache- cache dans les nuages...mais si engourdi...à ne pas savoir comment il se tient...imaginez!...comment il se tient...si debout... ou assis... mais le cerveau —

Extrait de Pas Moi de Samuel Beckett, Paris, 1972, éditions de Minuit.
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COMMISSARIAT D'EXPOSITION
https://smak.be/fr/expositions/faux-jumeaux-7-voorgesteld-door-raya-lindberg